Crée lorslors du hackaton « Open Democracy Now! », organisé en janvier dernier au Numa Paris, Doctrine.fr a pour ambition de mettre le big data au service du droit. Échange avec l’un de ses cofondateurs.
Lors de cette rencontre, se souvient Antoine Dusséaux, étudiant à l’école Polytechnique, « j’avais proposé un projet de Wikipédia du droit. Des juristes présents m’ont mis en avant un impératif préalable : la disponibilité des décisions de justice. »
Le confondateur du site l’admet sans rougir : « Je pensais naïvement que toutes les décisions étaient en ligne », ce qui est loin d’être le cas. Outre la nécessaire anonymisation des jugements et arrêts, la diffusion des décisions de justice en France n’a pas encore l’accessibilité pour maître-mot. Un blocage qui s’explique par des aspects très matérialistes. « Si les décisions de la Cour de cassation et du Conseil d’État sont mises en ligne de manière exhaustive en raison d’un texte de 2002, celles des juridictions inférieures leur sont envoyées pour être revendues ensuite aux éditeurs privés. Pour tous ces acteurs, c’est une source de revenus qui entraîne la fermeture du marché », regrette Antoine Dusséaux.
Les décisions des juridictions inférieures sont en effet soumises à un système de redevances, bien décrit dans le rapport Trojette. Par exemple, via la base Jurica, le service de documentation et d'études de la Cour de cassation facture entre 3 et 7 euros pièces la délivrance des documents réclamés, et ce en application d’un barème arrêté en 2009, signé Rachida Dati. Un mécanisme équivalent existe au Conseil d’État.
Un moteur rapide et gratuit
Après avoir contacté la Cour de cassation, le Conseil d’État, la DILA et des professionnels du droit, l’idée fut de basculer du projet à la réalité pour démontrer à partir des sources disponibles (Cour de cassation, Conseil d'État, Conseil constitutionnel, CEDH, CJUE, etc.), qu’« il n’est pas nécessaires de payer les éditeurs professionnels pour avoir un tel outil efficace afin de rendre la jurisprudence en libre accès et sans paywall sur Internet ». Ce moteur est donc en ligne depuis le 24 février 2016, épaulant utilement l'autre site gratuit du secteur, Legifrance.fr.
Il se veut d’une efficacité redoutable : « L’affichage est très rapide, nul besoin de cocher quantité de cases pour l’exploiter. C’est une recherche en langage naturel qui indexe aussi les commentaires d’arrêts sur les décisions en libre accès qu’on rajoute aux décisions existantes. » Mais il souffre toujours d’un point faible, « la limitation du fonds jurisprudentiel, puisque toutes les décisions ne sont pas disponibles pour le citoyen. »
Un million de décisions dans son index
À ce jour, la base d’indexation intègre un million de décisions environ, glanées automatiquement ou bien envoyées par des tiers, traitées par reconnaissance de caractères, anonymisées puis mises en ligne par l’équipe. Pour ses prochains axes de développement, Doctrine.fr, entièrement autofinancé, reposant sur du bénévolat, n'envisage pas de changer de modèle qui reste sans publicité et gratuit. Mais le site a toujours cette idée obsédante en tête : « Obtenir plus de bases. On veut travailler avec les juridictions pour leur faire prendre conscience de l’importance de rendre la justice accessible. Le principe de publicité des débats est la base de toute démocratie si on s’en tient à la Cour européenne des droits de l’Homme. Nous pensons qu'au XXIe siècle, la publicité des débats passe par Internet ». Si rien ne bouge de manière plus volontariste, « peut-être faudra-t-il passer par le législateur » suggère Antoine Dusséaux